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La Geste Gnome. (René A.E Renard - Roman - 2017)

Je ne vous dirai pas comment je me nomme. Vous dire qui je suis et pourquoi je suis est largement suffisant.

Je suis un gnome et je me fais vieux. Témoin du temps qui passe, je suis celui qui en trace les sillons. Je relate dans de vieux grimoires aux pages jaunies les grandes lignes de ce qui fut et de ce qui est. Jamais je n’aurais cru qu’on se servirait de mes talents de scribe à des fins peu avouables. J’ai failli à mon ordre.

Mes doigts tracent des courbes faites d’encre qui sèchent à la lueur d’une bougie. Je suis celui qui transmet les légendes et prophéties des temps anciens. Je suis le garant de l’histoire des mondes, le conducteur d’une tradition oubliée. Je suis les cinq sens des générations futures, le garde de ce qui est, de ce qui a été. Jamais je ne mens, jamais, je ne trompe, jamais, je ne falsifie. J’applique dans mon art une neutralité telle que je suis devenu l’exemple de ma guilde, le patriarche vénéré. Je suis pourtant le jouet de forces obscures, noires comme le fond de mon encrier.

De ces légendes des temps anciens qui feront les héros de demain, de ces textes qui façonneront les destinées, créeront les cultes, les croyances, les religions, il y en a qui sont chuchotées par le Malin. Elles ne sont pas constituées des visions futures, mais des préoccupations du moment. Elles sont écrites en même temps qu’elles sont lues. Elles sont âgées de l’instant présent. Elles sont poisons et trompent les cœurs.

Notre peuple a été longtemps chassé, massacré. Des siècles de discrétion nous ont conduits à l’oubli, celui des autres et celui de nous-mêmes. Nous avons oublié jusqu'à nos propres noms. Les anciennes légendes nous ont fait sortir de notre torpeur. Elles nous ont ramenés au-devant de la scène. Nous sommes la race oubliée qui doit ouvrir la route aux États libres, montrer le chemin de la victoire. Les légendes le prédisent depuis des éons. Des légendes écrites depuis des lustres qui ne datent peut-être que depuis que vous les avez lues. Nous serons la clé du destin, que celui-ci soit transcrit depuis le premier jour de la cité première ou qu’il soit invention de manant, ce destin nous conduira de la gloire au néant.

 

Une ancienne prophétie relate les hauts faits d’un peuple oublié qui conduira les États unifiés vers une liberté éternelle. Les gnomes sont ce peuple qui présidera à la destinée de tous. Les forces sombres ne peuvent imaginer de si petits êtres avoir si grande destinée. Sauf si ce sont eux qui ont murmuré cette douce mélopée.

 

Le peuple gnome ouvre les yeux, sa marche en avant reprend, les archivistes sont de retour. Ils possèdent l’ancien livre, celui où tout est transcrit, celui dont la couverture a pris la couleur du sang. Ce sang que le petit peuple a versé au prix de sa liberté : le Livre Rouge est son bien le plus précieux. Ces pages renferment les noms des premiers des leurs et des cent générations qui en ont découlé.

Au détour de feuillets devenus rigides au fil des ères, c’est l’histoire de ce monde qui se cristallise et se perpétue à travers les âges, les plaines, les océans et les montagnes.

Elle est la preuve de ce qui est, elle réfute à sa seule suffisance les blasphèmes du Maudit, celui qui fut banni des créateurs des mondes. Celui qui fut chassé d’Auroch, la cité première, celui que tout le monde craignait. Il est l’esprit retors, le comploteur, l’agent de la peste. À son souffle se répandent guerres et famines. Des siècles et des siècles de conflit ont amoindri les royaumes, des cités sont tombées, des peuples se sont éteints. Il est l’heure que s’écrive le dernier chapitre, celui où les scribes pourront inscrire le mot « fin ». Alors, une nouvelle ère verra le jour ou, à défaut, une nuit éternelle si l’infamie gagne toutes les âmes.

Un être, un peuple, une cité, tels sont les acteurs de l’acte final.

Aujourd’hui, nous sommes le premier des derniers jours, celui de toutes les légendes, celui de tous les contes.

Faites qu’il ne soit pas le dernier.

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                              Carte d'Eliandrilh dessinée par Argonaus

Dos nu. (René A.E Renard - Roman - La Mandragore Plaintive - 2020)

 

Égorger un homme est aussi simple qu’égorger un poulet. C’est ce qu’il se disait depuis le début de la soirée, son coutelas à la main.

Autour de lui, le paysage avait revêtu son manteau de deuil. Dans ce fourré, il ne voyait pas plus loin qu'à quelques pas, mais son ouïe restait fine et elle lui disait qu’il allait encore devoir patienter.

Au loin, il pouvait voir les quartiers des pics illuminés et entendre la mélopée de la vie s’y échapper. Il restait pourtant immobile, caché dans ce bosquet comme il y en a tant dans la cité plus de deux fois millénaires.

Il n’aurait pas dû accepter ce contrat, il le savait, mais ces yeux, ces yeux… Il n’avait pu s’en détacher et comme une marionnette, il s'était vu accepter l’impensable.

Il ne pouvait plus reculer maintenant, et de toute façon devoir affronter ce regard une nouvelle fois serait de trop pour lui. Il avait pris le sac avec l’argent, il devait juste y ranger son dû après l’avoir fait et le déposer au pied d’un vieil arbre avant le lever du jour. Rien de bien compliqué en soi.

C’était donc ce soir qu’il devait frapper...

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